
L’Art de voir l’invisible : éloge des vertus minuscules en coaching
Quand la philosophie de Marina van Zuylen résonne avec la pratique gestaltiste
Ce qui ne se crie pas sur les toits
Dans mon bureau, il arrive souvent qu’un client me dise : « Je ne sais pas pourquoi je suis venu, je n’ai pas de problème majeur. »
Puis, dans un geste imperceptible – un léger affaissement des épaules, une pause dans la respiration – quelque chose d’autre se révèle.
Ces moments-là, Marina van Zuylen les appellerait des « vertus minuscules » : cette capacité à percevoir chez l’autre ce qui ne se crie pas sur les toits.
En coaching gestaltiste, nous cultivons cette attention aux détails invisibles. Pas pour les analyser ou les interpréter, mais pour les accueillir avec curiosité. Car c’est souvent dans ces micro-expressions, ces silences habités, ces petites hésitations que se cache la véritable richesse de ce que vit la personne.
L’épochè du coach : suspendre pour mieux voir
« Vous devriez… » Cette phrase, je me l’interdis.
Non par principe, mais par nécessité pratique. L’approche gestaltiste m’a appris que nos jugements, même bienveillants, sont des filtres qui nous empêchent de voir ce qui est réellement présent.
Quand Marina van Zuylen propose de « poser un regard bienveillant et nuancé sur nos qualités cachées et nos défauts », elle décrit précisément cette posture d’épochè – cette mise entre parenthèses du jugement qui permet à l’inattendu d’émerger.
Un client me raconte qu’il procrastine. Mon premier réflexe pourrait être de chercher des solutions.
Mais si je suspends ce jugement, je peux percevoir autre chose : peut-être cette procrastination est-elle aussi une forme de sagesse inconsciente, un « non » que la personne ne sait pas encore formuler clairement.
L’éloge du « pas si mal »
Dans notre société de la performance, mes clients arrivent souvent épuisés par leur propre exigence de perfection.
Ils parlent de leurs « échecs », de leurs « faiblesses », comme s’ils étaient des défauts à corriger d’urgence.
L’approche gestaltiste rejoint ici la philosophie de van Zuylen : au lieu de viser l’excellence, nous explorons ensemble ce territoire du « assez bien« , du « pas si mal« .
Non pas par résignation, mais par reconnaissance que la complexité humaine ne se laisse pas réduire à des catégories simplistes de réussite ou d’échec.
J’ai accompagné récemment une manager qui se reprochait son « manque d’autorité ». En explorant ensemble ses interactions, nous avons découvert que ce qu’elle appelait « faiblesse » était en fait une capacité rare à créer de la sécurité psychologique dans ses équipes.
Sa « vertu minuscule » était justement cette attention aux autres qui la rendait si précieuse, même si elle ne correspondait pas aux codes traditionnels du leadership.
La psyché feuilletée
Proust, que cite van Zuylen, parlait de la psyché comme d’un millefeuille aux couches multiples. En coaching gestaltiste, nous faisons l’expérience concrète de cette complexité. Une émotion en cache souvent une autre, un comportement apparent révèle parfois son contraire.
Cette « perspicacité contre-intuitive » dont parle van Zuylen, c’est précisément ce que nous développons : la capacité à percevoir ce qui ne se montre pas immédiatement.
Non pas pour décoder ou interpréter, mais pour accompagner la personne dans sa propre découverte de ses richesses cachées.
L’art de l’invisible
Ce qui me fascine dans mon métier, c’est cette capacité à voir l’invisible.
Ces micro-changements qui passent inaperçus : un regard qui s’éclaire, une posture qui se redresse, une voix qui trouve soudain sa justesse.
Ces transformations ne se photographient pas pour Instagram, elles ne se quantifient pas dans un bilan annuel.
Elles appartiennent à ce territoire des vertus minuscules que célèbre van Zuylen : ces qualités qui se révèlent dans l’intime de la relation, dans la discrétion d’un accompagnement où la personne peut enfin poser ses masques et découvrir qui elle est vraiment.
Une invitation au regard neuf
Si mon approche de coach gestaltiste devait se résumer en quelques mots, ce serait peut-être ceux-ci : porter sur chaque personne un regard neuf, curieux de ce qui ne se voit pas au premier coup d’œil. Suspendre mes certitudes pour laisser émerger ce qui veut naître. Honorer ces vertus minuscules qui font la singularité de chacun.
Car au fond, accompagner quelqu’un, c’est peut-être simplement lui offrir un espace où ses propres vertus minuscules peuvent enfin être vues, reconnues, et déployées dans le monde.
Dans un monde qui valorise le spectaculaire, choisir de voir l’invisible est peut-être la plus précieuse des compétences.
Auteure : Sylvaine Scheffer, Coach professionnel et Co-Fondatrice Coévolution