
Le mouvement comme langage : Notre Corps en dialogue avec le Monde
À l’occasion de la Journée Internationale de la Danse
Danser l’Existence
Le mouvement n’est pas simplement un déplacement dans l’espace ; c’est notre façon première d’habiter le monde. Chaque geste, chaque pas, chaque respiration est une affirmation de notre présence, une manière de dire « je suis là ».
Comme l’exprimait si justement la chorégraphe Pina Bausch : « Je ne m’intéresse pas à la façon dont les gens bougent, mais à ce qui les fait bouger. » Cette recherche de l’intention derrière le geste nous rappelle que nos mouvements sont porteurs de sens, qu’ils racontent nos histoires intimes avant même que les mots ne puissent les formuler.
Les Mouvements Fondamentaux : Notre Alphabet Corporel
Dès la naissance, nous découvrons instinctivement six mouvements fondamentaux qui structurent notre relation au monde : se laisser porter/être avec, pousser contre, aller vers, attraper, tirer à soi, et lâcher. Ces gestes primordiaux, comme identifiés par Ruella Frank dans l’approche de la Developmental Somatic Psychotherapy, ne sont pas de simples actions physiques mais les piliers de notre développement psychologique.
Ces mouvements s’inscrivent dans l’espace selon trois axes essentiels : horizontal (s’ouvrir-se fermer), vertical (monter-descendre) et sagittal (avancer-reculer).
À travers cette grammaire corporelle, nous créons et modelons l’espace autour de nous, tout en percevant cet espace à travers ces mêmes qualités de mouvement.
Danser la Relation
« La danse est une conversation entre le corps et l’âme », disait Martha Graham. Cette conversation s’étend au-delà de nous-mêmes. Nos corps sont en dialogue constant avec l’environnement et les autres corps qui l’habitent.
Dans son approche du Contact Improvisation, Steve Paxton nous invite à considérer comment « le mouvement émerge de l’écoute – l’écoute du corps, l’écoute de l’autre, l’écoute de l’espace ». Cette écoute transforme notre manière d’être ensemble, créant un espace où la vulnérabilité devient force et où la relation naît d’un équilibre dynamique entre soutien et autonomie.
La Danse Comme Connaissance de Soi
Le chorégraphe contemporain Ohad Naharin, créateur de la méthode Gaga, affirme que « le mouvement nous permet d’accéder à des sensations oubliées, à des territoires inconnus de nous-mêmes ». Lorsque nous dansons, nous révélons des aspects de notre être qui échappent souvent à notre conscience quotidienne.
En prêtant attention à nos mouvements fondamentaux, nous pouvons observer nos tendances : sommes-nous plus à l’aise dans l’aller vers ou dans le retrait ? Dans l’expansion ou dans la contraction ? Cette conscience somatique devient une forme d’intelligence émotionnelle incarnée, nous permettant de transformer nos schémas limitants en possibilités nouvelles.
L’Espace Entre Nous
Le mouvement crée non seulement notre espace personnel mais aussi l’espace entre nous. Comme le suggère la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker : « La danse nous rappelle que nous sommes constamment en relation, même dans la solitude. »
Chaque dynamique spatiale reflète une dynamique relationnelle : pousser contre peut signifier établir une frontière saine ou résister à une pression ; se laisser porter implique la confiance et la réceptivité ; aller vers exprime le désir et l’engagement.
Mouvement et transformation
Le travail profond sur le corps, tel que l’explore la Developmental Somatic Psychotherapy, n’est peut-être pas spectaculaire vu de l’extérieur, mais il permet des transformations pérennes dans notre façon d’être au monde. En comprenant nos mouvements fondamentaux, nous développons une présence plus authentique et une plus grande capacité à nous connecter aux autres.
Comme l’écrit la danseuse et chorégraphe Trisha Brown : « La danse n’est pas seulement un art, c’est un mode de vie. » En célébrant la Journée de la Danse, nous célébrons cette sagesse corporelle qui nous invite à habiter pleinement notre corps, à embrasser nos mouvements comme expressions de notre être, et à créer ensemble une chorégraphie de relations plus conscientes et plus harmonieuses.
En ce jour qui célèbre la danse sous toutes ses formes, prenons le temps de ressentir comment nos mouvements fondamentaux façonnent notre expérience du monde et des autres.
Car au fond, comme le disait Maurice Béjart : « La danse, c’est la vie intensifiée ».
Auteure : Sylvaine Scheffer